La Direction de l’ESPCI est fière de pouvoir présenter au public les archives de Paul Langevin sur la plateforme de la Bibliothèque numérique de l’Université PSL.
Grand physicien du début du 20eme siècle Langevin a laissé sa marque à l’Ecole de Physique et Chimie où il a passé plus de cinquante ans et où il a fait toutes ses découvertes les plus importantes. Grâce au don de la famille Langevin, nous sommes heureux d’avoir pu collecter en un seul lieu un corpus d’archives unique au monde sur son travail, ses contributions scientifiques et sa correspondance avec les grands physiciens de l’époque. Des documents originaux, publics et privés, qui nous donnent la vision de Paul Langevin sur cette période où les fondements de la physique moderne ont été établis.
Je voudrais remercier ici la famille Langevin pour leur confiance et leur don généreux pour que la mémoire de Paul Langevin et son œuvre puissent être accessible à tous. Et bien sûr je voudrais également remercier l’énorme travail et la persévérance de notre directrice de la documentation et des ressources historiques Catherine Kounelis, ainsi que tous ceux qui, à l’ESPCI ou à la Direction de la Documentation et la Diffusion des Savoirs à PSL, ont contribué à la collecte, classement et numérisation de ces documents pour que la mise en ligne de cette collection puisse voir le jour.
Bonne lecture !
Parmi les trésors conservés par le centre de ressources historiques de l’école, une collection tient le haut de l’affiche : le fonds Paul Langevin. Numérisées, elles sont désormais accessibles en ligne. Catherine Kounelis, responsable du CRH revient sur une longue histoire qui illustre les liens entre Langevin et l’ESPCI, et sur la question de la conservation des archives.
Les archives de Paul Langevin viennent d’être mises en ligne. Comment ces documents sont-ils arrivés à l’ESPCI ?
Catherine Kounelis, responsable du CRH et de la bibliothèque de l'écoleEn vue des préparations des célébrations de son centenaire au début des années 1980, l’Ecole a entrepris sous l’égide de Pierre-Gilles de Gennes, qui était à l’époque son directeur, une importante opération de collecte d’archives dans le but de mettre en valeur son histoire et la faire découvrir aux plus jeunes. Dans ce contexte, et par l’entremise de plusieurs personnalités, parmi lesquelles le mathématicien Jean-Pierre Kahane et le physicien Paul Brouzeng, Luce Langevin, belle-fille du savant, et Noémie Koechlin, sa petite fille, ont décidé de transférer à l’ESPCI en 1980 et 1984 les archives familiales qui étaient en leur possession. Ce fut l’origine de la création en 1984 du Centre de ressources historiques, placé sous la responsabilité de la Bibliothèque.
Depuis cette époque, les archives de Paul Langevin, mises en consultation à la disposition du public, ont nourri de nombreux travaux de recherche et plusieurs expositions ici-même à l’ESPCI et dans les lycées. De nombreuses publications, comme sa biographie par Bernadette-Bensaude Vincent publiée chez Belin en 1986, aujourd’hui encore un livre de référence, des conférences et des articles dans des revues spécialisées s’appuient sur les documents issus de ce fonds.
Pourquoi ces archives sont elles-importantes ?
Fonds ESPCI Paris. Numérisation PSL
Conseil de Présidence du Comité mondial contre la guerre et le fascisme. Langevin appelé à se rendre à Londres pour défendre la cause des républicains espagnols
Fonds ESPCI Paris. Numérisation PSL
Procès verbaux des réunions à Bruxelles du comité scientifique de l'Institut international de Physique Solvay. Extrait d'une réunion du 27 octobre 1913
Langevin est une figure emblématique de la première moitié du XXe siècle. Il a une envergure internationale et sa notoriété dépasse les frontières de la physique. Comme physicien et comme citoyen, il est engagé dans de multiples réseaux de la science, de l’éducation et des mouvements humanistes et pacifistes de son temps, notamment contre la montée du fascisme entre les deux guerres, dans lesquels il joue très souvent un rôle de premier plan. Né en 1872 et mort au lendemain de la deuxième guerre mondiale, il incarne les valeurs essentielles de la société française pendant la Troisième République qu’il traverse de bout en bout. Il croise et se lie d’amitié avec de grandes personnalités de son temps, qu’ils soient des physiciens, des intellectuels ou des hommes politiques. Les documents des Conseils Solvay, sa correspondance avec Einstein et autres scientifiques, parmi lesquels plusieurs prix Nobel, comme Irène et Frédéric Joliot-Curie, Hendrik Lorentz, Niels Bohr, Kammerling Onnes, Wolfgang Pauli, Paul Dirac, sont d’une très grande valeur historique et scientifique. De nombreuses liasses de documents traitent des réformes de l’enseignement en France et à l’étranger, et notamment en Chine, -il était par exemple Président du Groupe français pour l’éducation nouvelle (GFEN)-, et sont des sources précieuses pour la recherche. Son action contre la montée du nazisme, je pense par exemple au Comité de Vigilance des Intellectuels Antifascistes (CVIA) dont il est l’un des fondateurs, nous invite à redécouvrir tous les moments importants de l’histoire de l’entre deux-guerres. Ces archives sont donc des témoignages de grande valeur sur toute cette période et c’est la raison pour laquelle elles intéressent des historiens venus d’horizons différents, qu’il s’agisse de l’histoire de la physique, des réformes de l’enseignement et de l’histoire tout court. Mais au delà de ces spécialistes, chacun saisit sous sa plume à la lecture de ces documents toute la puissance de son œuvre et de son engagement dont on peut aujourd’hui retenir des leçons et s’inspirer pour les combats de notre époque, qui sont certes différents mais qui s’appuient sur des valeurs universelles.
Les liens de Langevin avec l’ESPCI sont forts et singuliers. Voulez-vous nous expliquer pourquoi ?
Fonds ESPCI Paris. Droits réservés
Paul Langevin dans son bureau à l'ESPCIEn effet, ce n’est pas un hasard si les descendants de Paul Langevin ont souhaité que ces archives soient conservées à l’Ecole. Ancien élève, puis directeur des études, professeur de physique et enfin directeur général, Paul Langevin a passé près de soixante ans, 58 très exactement, dans les murs de l’Ecole, interrompus par seulement deux courtes périodes : pendant ses études à l’ENS et au Laboratoire Cavendish près de J. J. Thomson, et après son arrestation pendant l’Occupation. C’est ici qu’il a eu comme professeur Pierre Curie. Il a été marqué par l’enseignement de son maître dont l’influence est présente dans ses travaux sur le magnétisme et le sonar. En tant que directeur, il y habite et il a son laboratoire particulier, alors même qu’il est en même temps professeur au Collège de France. C’est dans son laboratoire de l’ESPCI qu’il a fait les premiers essais du sonar. C’est encore ici, dans son bureau de l’ESPCI, qu’il a reçu Einstein avec qui il se lie d’une grande amitié, à l’occasion de l’une des visites de ce dernier à Paris.
Mais les liens avec l’Ecole ne s’arrêtent pas à la seule personne de Paul Langevin. Son fils André, son petit-fils Michel, l’épouse de ce dernier, Hélène Langevin-Joliot, petite-fille de Pierre et Marie Curie, et le père d’Hélène, Frédéric Joliot-Curie, prix Nobel de chimie avec sa femme Irène, ont tous fait leurs études à Physique et Chimie (le nom que les anciens donnaient à l’Ecole). Cinq ingénieurs ESPCI sur trois générations ! Quand on y est formé, qu’on y habite pour certains, qu’on y fait de l’enseignement et ses recherches pendant de longues années ou qu’on siège au Conseil d’administration comme c’est le cas pour quatre membres de la famille, cela crée forcément des liens très profonds et durables. On peut alors aisément comprendre l’attachement de la famille à l’Ecole de Physique et Chimie et leur décision de lui donner généreusement ces archives. Le don a été officialisé l’année dernière à l’occasion des autorisations demandées pour la numérisation et la diffusion électronique des documents. Nous sommes fiers et nous leurs sommes reconnaissants. Nous mesurons aussi la responsabilité quant à leur sauvegarde et leur diffusion qui nous revient désormais vis à vis des générations futures.
La numérisation d’un fonds si volumineux, sans doute n’a pas été une chose simple. Voulez-vous nous expliquer comment les opérations se sont déroulées ?
Les opérations remontent à 2013 grâce à un financement de PSL qui a permis la numérisation d’un corpus d’environ 500 documents liés aux Conseils internationaux de physique Solvay dont Langevin est président à partir de 1928. Ces documents sont déjà en ligne depuis 2015.
Un second financement faisant suite à un appel à projets de 2015 de la Région Ile-de-France auquel PSL a répondu avec succès a permis d’entreprendre le chantier de numérisation du fonds complet. Ce ne sont pas tant les opérations de digitalisation qui nous préoccupent alors, car elles sont réalisées par un prestataire qui sait les traiter de manière « industrielle », mais toutes les opérations préparatoires et celles qui succèdent à la numérisation proprement dite. Celles-ci sont prises en charge par nos personnels et demandent plusieurs mois de travail.
Dans le cas du fonds Paul Langevin, près de 8500 documents ont été « récolés », c’est à dire décrits pièce par pièce, restaurés s’il le fallait, mis à plat et reconditionnés dans du matériel adapté, avant d’être envoyés à la numérisation avec les consignes de nommage des fichiers, de la gestion des pages blanches, etc… Au retour du prestataire, le contrôle des images et des métadonnées d’une part, puis leur chargement dans la plateforme de diffusion numérique, en l’occurrence la Bibliothèque numérique de PSL, terminent le cycle des opérations. Pendant ce temps, se déroulent en parallèle l’étude des droits de diffusion et la recherche des ayants droit. Les oeuvres de Paul Langevin sont dans le domaine public depuis le 1er janvier 2017, mais ce n’est pas le cas de tous les documents du fonds. Une recherche auteur par auteur a été nécessaire afin de déterminer les ayants droit et d’obtenir les autorisations de diffusion. Ce besoin a fait l’objet d’une consultation juridique et d’une étude généalogique par des cabinets spécialisés.
L’ensemble de ces opérations a été conduit avec beaucoup d’efficacité et de professionnalisme par l’équipe de la Documentation et de Diffusion des Savoirs de PSL qui a co-financé le projet avec la Région Ile-de-France et avec qui nous sommes bien entendu restés en lien étroit. Nous avons apporté notre concours chaque fois que cela était utile.
Lettre d'Einstein à Paul Langevin dans laquelle il évoque la thèse de Louis de Broglie. Fonds ESPCI Paris. Numérisation PSL. Droits réservésJe me souviens de mon émerveillement devant les lettres témoignant de la correspondance incroyablement riche que Paul Langevin a entretenu avec ses contemporains. Deux lettres d’Einstein de 1924 m’ont particulièrement touché. Dans la première, Einstein recommande en post-scriptum à son ami Langevin d’aller lire l’article de Bose sur une nouvelle démonstration de la loi de Planck, tout juste paru dans Zeitschrift für Physik. S’il est connu qu’Einstein a promu le travail de Bose, j’en avais subitement sous les yeux la preuve évidente ! Dans la seconde lettre, Einstein remercie Langevin de lui avoir envoyé une copie de la thèse de Louis de Broglie, et écrit ces deux phrases désormais célèbres : "Le travail de de Broglie m’a fait une forte impression. Il a levé un coin du grand voile". Je connaissais l’existence de ces lettres, mais quel bonheur ce jour-là de réaliser qu’elles étaient à l’ESPCI, dans nos murs, comme un incroyable témoignage de l’émergence de la théorie quantique, un tournant majeur dans l’histoire de la physique.