L’étude des suspensions complexes, formées de particules diverses suspendues dans un liquide simple, est en plein essor avec des perspectives d’applications nombreuses tant dans l’industrie (papier, alimentation...) que dans les laboratoires sur puce (techniques de séparation…). Leurs propriétés d’écoulement dépendent de la nature des particules, leurs dimensions, leur flexibilité et sont encore assez mal connues. Ces propriétés résultent directement de l’interaction fluide structure à l’échelle des particules. Des chercheurs de l’ESPCI Paris ont collaboré avec une équipe de l’Université de San Diego pour étudier à la fois expérimentalement et théoriquement les dynamiques de déformation d’un filament microscopique dans un écoulement. Leurs résultats sont publiés dans la revue PNAS.
- Pour de grandes instabilités d’écoulement, les filaments ont tendance à s’enrouler puis se dérouler en suivant le sens de l’écoulement.
L’équipe de scientifiques du Laboratoire PMMH menée par Anke Lindner et Olivia du Roure a dans cette étude développé une expérience modèle combinant la microfluidique et l’utilisation d’un polymère biologique, l’actine. Cette protéine s’assemble dans la cellule sous forme de filaments qui confèrent à la cellule sa forme, son intégrité et ses propriétés de migration. Purifiés, marqués en fluorescence et réassemblés en solution, ces filaments d’actine constituent un système modèle bien contrôlé de filaments flexibles, microscopiques et Browniens. L’expérience du PMMH met à profit le très bon contrôle sur les écoulements permis par la microfluidique pour suivre chaque filament d’actine au cours de son transport dans des conditions bien définies.
De leur côté, les scientifiques de l’Université de San Diego ont réalisé des simulations numériques en s’appuyant sur les équations de la mécanique, de l’hydrodynamique et en modélisant les fluctuations Browniennes. Les résultats obtenus par simulation et expérience se sont révélés en parfaite adéquation.
Cette étude a mis en évidence l’existence de trois types de morphologie sous transport en fonction de la longueur du filament – qui conditionne sa flexibilité - et de la vitesse de l’écoulement. Dans tous les cas, le filament est transporté par l’écoulement, son centre de masse suivant l’écoulement. Lorsque le filament est court et l’écoulement lent, le filament n’est pas déformé et effectue, en plus de la translation, un mouvement de rotation. Pour des valeurs plus grandes de la longueur ou de la vitesse du fluide, les filaments sont déformés au cours de la rotation et se plient en "C". Cette transition correspond à une instabilité de flambage. Pour des valeurs encore plus grandes de ces paramètres, un troisième régime apparaît où les filaments s’enroulent sur eux mêmes puis se déplient tout en restant alignés avec l’écoulement. Les transitions entre ces différents comportements sont associées à un seuil du paramètre de contrôle qui combine l’effet de la flexibilité et celui de la vitesse du fluide. Les fluctuations Browniennes ont peu d’influence et principalement rendent les transitions plus floues.
La collaboration étroite entre ces deux équipes a permis pour la première fois de caractériser entièrement les différentes morphologies et les transitions entre ces différents régimes.
Pour Anke Lindner, co-auteur de l’étude qui s’inscrit dans le cadre du projet ERC PaDyFlow dont elle est lauréate depuis 2015, « étudier ce comportement microscopique constitue la première étape avant de pouvoir comprendre et expliquer les propriétés d’une suspension de fibres flexibles à l’échelle macroscopique ».
Publication associée : https://doi.org/10.1073/pnas.1805399115
Contact :
anke.lindner@espci.fr
olivia.duroure@espci.fr