Cascade de gouttelettes dans un mélange de verres en fusion

  Version imprimable de cet article RSS
04/08/2016

Des chercheurs du CNRS, de l’ESPCI Paris et de Saint-Gobain ont utilisé l’imagerie 3D par micro-tomographie X pour suivre l’évolution d’un mélange de verres fondus à haute température. Ils ont ainsi mis en lumière un mécanisme original de fragmentation des liquides, qui pourrait s’appliquer à la texturation des verres à petite échelle. Leurs résultats ont été publiés dans Physical Review Letters le 30 Septembre.

Vérification de l'alignement de l'expérience avec le faisceau de lumière synchrotron de la ligne ID 19 de l'ESRF.

A haute température (autour de 1000°C), dans leur état liquide, certains verres se comportent comme une vinaigrette très visqueuse. Au dessous d’une température critique, ils se séparent spontanément en deux liquides non miscibles (comme l’eau et l’huile) qui forment un entrelacs de petits domaines : des filaments interconnectés de taille nanométrique à micrométrique. Comme les gouttelettes d’une émulsion, avec le temps ces domaines tendent à grandir : ils mûrissent. Ce phénomène de croissance des domaines intéresse depuis longtemps les physiciens en raison de son caractère universel. De nombreuses études ont ainsi montré que les lois de croissance des domaines restent les mêmes indépendamment de la nature des liquides et que la géométrie des domaines est de type auto-similaire : après remise à l’échelle par un zoom, des images obtenues à des temps différents semblent être identiques. On parle d’invariance d’échelle dynamique.

Les mécanismes élémentaires à l’origine du mûrissement ont été comparativement moins étudiés.
Pour les caractériser, Les chercheurs du Laboratoire PMMH (CNRS/ ESPCI) et de l’UMR Surface du Verre et Interfaces (CNRS/ Saint-Gobain) ont eu recours aux derniers progrès de la tomographie X synchrotron à l’ESRF. Grâce à cette technique d’imagerie 3D, ils ont pu filmer directement au sein du verre en fusion les événements de rupture et de rétractation de filaments visqueux intervenant aux échelles micrométriques.
A gauche : Tomographie X du mûrissement d’un verre borosilicate de baryum à 1130°C. Seule la phase minoritaire, riche en baryum et moins visqueuse est ici représentée. Le domaine percolant est représenté en nuances de vert, en fonction de la courbure locale : les zones de forte courbure sont plus claires ; les domaines isolés sont en nuances de violet. En haut, un événement local de pincement capillaire entraîne la réorganisation des domaines. En bas, une vision plus large permet d’apprécier l’augmentation de la taille caractéristique et, dans cette expérience, de la fragmentation progressive. A droite : L'échantillon de verre est placé dans un petit creuset en alumine, et s'apprête à être introduit dans le four, le rayonnement rougeâtre est dû la température du four, de l'ordre de 1300°C
Ces observations sont conformes à un scénario théorique proposé par le physicien américain E.D. Siggia il y a près de 40 ans : la rétractation de chaque filament rompu contribue à faire épaissir les filaments qui lui étaient connectés. De façon plus surprenante, le suivi par imagerie 3D a mis en évidence un phénomène insoupçonné : lorsque l’un des deux liquides est significativement plus visqueux que l’autre, seuls les filaments du liquide le plus fluide se cassent. Cette brisure de symétrie topologique a une conséquence importante sur l’évolution de la morphologie du mélange. Alors que le liquide le plus visqueux reste sous la forme d’un réseau continu de filaments interconnectés, le liquide le plus fluide se fragmente progressivement en une cascade de gouttelettes.

Par refroidissement rapide, il est possible de figer de telles structures. Les deux liquides forment alors deux verres finement entrelacés. La modulation de la durée et de la température du traitement thermique permet donc de texturer le verre à petite échelle en jouant tant sur la taille que sur la morphologie des domaines.

Référence de la publication

Topological Symmetry Breaking in Viscous Coarsening, David Bouttes, Emmanuelle Gouillart, and Damien Vandembroucq, Phys. Rev. Lett. 117, 145702
DOI :http://dx.doi.org/10.1103/PhysRevLett.117.145702

Contact Chercheurs :
Damien Vandembroucq





ÉCOLE SUPÉRIEURE DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE INDUSTRIELLES DE LA VILLE DE PARIS
10 Rue Vauquelin, 75005 Paris