Behnia - EMFL - ESPCI ParisTech
[*Kamran Behnia et Benoit Fauqué, chercheurs CNRS au laboratoire de Physique et d’étude des matériaux, sondent la matière pour mieux comprendre certains de ses états fondamentaux. Leurs brillants résultats, reconnus internationalement, leur ont valu une distinction accordée par l’American Physical Society et l’European Magnetic Field Laboratory. Présentation et rencontre avec Benoit Fauqué. *]
***Des propriétés encore mystérieuses
Au début du XXe siècle, les apports de la mécanique quantique à la physique des solides, et la , ont permis de comprendre pourquoi certains solides sont isolants et d’autres métalliques, et donc conducteurs. Quelques décennies plus tard, ce fut au tour de la supraconductivité de profiter des apports de la mécanique quantique, grâce, notamment à l’élaboration de la théorie Bardeen, Cooper, Schrieffer ().
Malgré ces avancées, un certain nombre de matériaux présentent des propriétés physiques éloignées de la compréhension actuelle des phénomènes électroniques dans les solides.
Ceux-ci sont aujourd’hui le terrain de jeu de nombreux physiciens de la matière condensée. Kamran Behnia est l’un d’eux : il dirige le groupe de la Matière Quantique au laboratoire de Physique et d’étude des matériaux (LPEM, UMR 8213 du CNRS) situé à l’ESPCI ParisTech, où travaille également Benoît Fauqué.
***Observer la matière sous des contraintes extrêmes
Kamran Behnia et Benoît Fauqué consacrent leurs recherches à l’étude de métaux étranges comme les , les ainsi que des semi-métaux comme le bismuth et le graphite.
L’objectif de ce groupe de recherche est de dépasser l’état actuel des connaissances pour construire une meilleure compréhension d’effets inexpliqués mais prouvés expérimentalement. Ces effets sont produits par l’équipe de Kamran Behnia grâce à un savoir-faire exceptionnel, permettant d’observer le comportement de la matière sous des contraintes physiques extrêmes (température, fort champ magnétique).
[(Une grande maitrise expérimentale
La principale expertise du groupe est de sonder dans un solide la réponse à un courant de chaleur. Ce courant de chaleur est toujours associé à un gradient de température qui génère souvent un champ électrique. En contrôlant soigneusement la température et en mesurant finement ces champs électriques (souvent à des températures très basses, et parfois en présence d’un fort champ magnétique), diverses signatures de ces états électroniques peuvent être détectées.)]
***Deux prix internationaux
Gideon Laureijs / EMFL
Benoit Fauqué (à gauche) avec Jochen Wosnitza (Directeur du laboratoire de forts champs magnétiques de Dresde) Crédits : Gideon Laureijs / EMFL Chacun à leur tour, Kamran Behnia et Benoit Fauqué ont reçu une distinction internationale.
En novembre 2012, Kamran Behnia a été élu « Fellow » de l’American Physical Society pour, notamment, "ses mesures thermoélectriques à haute résolution, tournées vers la compréhension d’états quantiques de la matière non conventionnels ».
Et en juin de cette année, le prix 2013 de l’European Magnetic Field Laboratory (EMFL) a été remis à Benoit Fauqué pour ses réalisations dans le domaine des forts champs magnétiques et en particulier pour ses travaux consacrés aux « transitions de phase induites sous champ magnétique dans du graphite. »
***L’EMFL : mode d’emploi
Cet organisme fédère tous les laboratoires de fort champ magnétique européens. Il en existe quatre, situés à Dresde (Allemagne), Nimègue (Pays-Bas), Grenoble et Toulouse. L’EMFL favorise la mutualisation des moyens financiers, les investissements et le développement de dispositifs expérimentaux toujours plus performants. Il gère également l’accès aux équipements scientifiques.
« Nous commençons les manips dans nos laboratoires et si un résultat intéressant se profile nous répondons à un appel à projets de l’EMFL. Après acceptation, nous élaborons la manipulation et nous précédons à l’expérience. Nous effectuons ensuite un rapport qui peut donner lieu à une publication » détaille Benoit Fauqué.
***A la recherche des Tesla
La puissance des champs magnétiques, mesurée en Tesla (l’unité d’induction magnétique), est au cœur de la recherche menée par Benoit Fauqué. Cette puissance, très consommatrice d’énergie - et rare - permet de repousser les limites de l’expérimentation et de mettre en évidence de nouveaux comportements au sein de la matière.
[(Différents champs magnétiques
On distingue deux types de champs :
– les champs permanents (proposés par exemple par le Laboratoire national des champs magnétiques intenses (LNCMI) de Grenoble).
– les champs pulsés, c’est-à-dire émis sur des temps très brefs (proposés par le LNCMI de Toulouse).)]
A Grenoble, les chercheurs travaillent avec des bobines atteignant 35 Tesla, un champ magnétique bien supérieur à celui dont Benoit Fauqué dispose dans son laboratoire. Pour aller au-delà, il est possible de travailler avec des champs magnétiques pulsés de 80 Tesla, ce que propose le LNCMI de Toulouse. « Un champ magnétique phénoménal et qui s’est révélé décisif pour nos travaux » explique Benoit Fauqué. « Nous avons clairement bénéficié du développement instrumental et du travail du groupe de Cyril Proust, au LNCMI de Toulouse, pour obtenir nos résultats » reconnait-il.
***Une seconde instabilité électronique
Que faire d’une telle puissance ? « Nous étudions le comportement des électrons lorsqu’ils sont soumis à de très forts champs magnétiques. Dans le cas de mes travaux, nous étudions le régime dit de , où l’effet du confinement des électrons est le plus grand. Ce régime est plus facile à atteindre dans le graphite (car c’est un système avec une faible densité électronique ) que dans d’autres matériaux car ils nécessiteraient des champs magnétiques si puissants qu’ils sont aujourd’hui impossibles à générer.
Or, depuis les années 80, raconte Benoit Fauqué, nous savons qu’une instabilité électronique apparait lorsqu’un échantillon de graphite est soumis à un champ magnétique de 30 Tesla. Cette année, nous avons découvert qu’entre 53 et 80 Tesla, une seconde instabilité électronique apparaît. Cette seconde phase n’avait été prédite par aucune théorie.
***Un comportement inédit enfin révélé
« Nous assistons alors à une réorganisation des électrons qui change les propriétés du matériau. Notre étude a révélé un comportement isolant le long du champ magnétique dans cette nouvelle phase. Par contre, à notre grande surprise, un comportement conducteur subsiste dans le plan ! C’est très surprenant puisque compte tenu du confinement induit par le champ magnétique et du comportement isolant observé le long du champ magnétique, nous aurions du nous attendre à ce que l’échantillon soit isolant dans toutes les directions. Or, ce n’est pas le cas. Il reste conducteur dans au moins deux directions, indique Benoit Fauqué.
« Aussi, nous sommes retournés voir ce qui se passe à 35 Tesla, en étant très attentifs aux paramètres retenus pour l’expérience menée à 80 Tesla, et nous avons découvert que le même phénomène se produit, mais de façon moins prononcée ». Ce qui était passé complètement inaperçu depuis 30 ans. « C’est une vraie dichotomie dans le comportement des électrons de graphite et la mettre en évidence a été très excitant pour toute l’équipe ».
***Mieux comprendre les systèmes et la matière
Cette conductivité résiduelle est-elle un comportement lié à la nature même du matériau utilisés pour l’expérience – le graphite ? Est-il commun à plusieurs matériaux mais varie-t-il en fonction de l’intensité du champ magnétique ? Benoit Fauqué sait déjà qu’il devra répondre à ces questions et mener de nouvelles expérimentations. Contrairement à d’autres groupes de recherches qui sont tournés vers l’optimisation de matériaux ou de procédés ; nous cherchons avant tout à mieux comprendre certains états fondamentaux de la matière. Et c’est passionnant ! » conclut-il.
***Pour aller plus loin :
Le site du laboratoire de Physique et d’étude des matériaux
Le site de l’EMFL
Le site de l’APS
Le site du LNCMI