Depuis quelques jours, la communauté scientifique est en ébullition suite à l’annonce de la détection d’ondes gravitationnelles par la collaboration Virgo/LIGO. Si Einstein les avait pensées il y a un siècle, les scientifiques ont passé les cinquante dernières années à les traquer et à développer des outils suffisamment sensibles pour détecter des signaux aussi infimes. Rencontre avec Vincent Loriette et Ivan Maksimovic, chercheur et ingénieur CNRS au Laboratoire de Physique et d’Etude des Matériaux de l’ESPCI Paris et collaborateurs de l’équipe du LAL qui participe au projet Virgo, et cosignataires de l’étude publiée dans Physical Review Letters.
Crédit : SXS collaboration
Bonjour à tous les deux, pouvez-vous nous expliquez un peu votre parcours ?
Vincent Loriette : J’ai été recruté au CNRS en 1995 dans l’équipe Virgo d’Alain Brillet au LAL, puis en 1999 j’ai été affecté au LPEM qui s’appelait à l’époque "laboratoire de spectroscopie en lumière polarisée", ou "laboratoire d’optique physique". Aujourd’hui je travaille à mi-temps au LAL pour préparer les futures améliorations de Virgo, et à mi-temps à l’ESPCI où je m’intéresse au développement de nouvelles techniques de microscopie.
Ivan Maksimovic : Après un DEA en optique en 2001, j’ai été doctorant à l’Observatoire de Paris sur un projet d’horloge à atomes froids spatialisable. A l’issue de cette thèse, j’ai été successivement ATER à l’université Denis Diderot et l’ENS Cachan puis post-doc à l’Observatoire de Meudon. En 2008, j’ai été recruté au CNRS en tant qu’ingénieur de recherche affecté au LPEM où je partage mes activités d’instrumentation en optique entre le projet Virgo et des projets d’étude des propriétés optiques des matériaux tels que la caractérisation de nano-dispositifs hyperfréquences commandés optiquement.
On parle d’ondes gravitationnelles, de quoi s’agit-il ?
VL : Il s’agit de modifications périodiques de la métrique de l’espace-temps, qui se propagent à la vitesse de la lumière et qui sont engendrées par des événements astrophysiques très violents, comme l’accrétion de systèmes binaires ou des supernovae très asymétriques. La métrique de l’espace temps c’est ce qui lie le temps et les distances. En relativité, un observateur évalue la distance qui le sépare d’un objet distant en mesurant localement le temps d’aller et retour de la lumière entre lui et cet objet. La vitesse de la lumière étant constante (indépendante de la direction et du mouvement de la source ou de l’observateur) la distance mesurée est donc le temps local écoulé multiplié par la vitesse de la lumière. En relativité générale, on mesure les distances de la même manière, en utilisant lumière et horloges. Maintenant mesurons la distance entre deux objets au repos dans un référentiel en chute libre (c’est-à-dire qu’ils ne ressentent pas les effets de la gravitation), qui ne sont soumis à aucune force extérieure. Leur distance devrait être constante, mais au passage d’une onde gravitationnelle cette distance (encore une fois mesurée par la lumière) va varier, bien que ces objets restent toujours au repos. La manifestation physique du passage d’une onde gravitationnelle est donc une modification périodique de la distance entre des objets au repos dans un référentiel en chute libre.
IM : Ce sont des variations de l’espace-temps de nature différente des ondes électromagnétiques qui nous sont familières. Leur principe d’émission est toutefois comparable puisqu’elles sont créées par des masses en accélération alors que les ondes électromagnétiques sont générées par des charges électriques en accélération. En revanche, l’ordre de grandeur des effets des ondes gravitationnelles est extrêmement faible. Il nécessite à la fois l’observation d’objets célestes très massifs dans des situations cataclysmiques comme l’explosion de supernovae ou la coalescence d’étoiles à neutrons ou de trous noirs mais aussi la mise au point d’une instrumentation à la limite du savoir-faire technologique comme le sont les détecteurs américains LIGO et franco-italien Virgo. Il s’agit d’interféromètres laser kilométriques mesurant la variation du temps d’aller-retour d’un faisceau laser réfléchi par deux miroirs situés au bout des bras perpendiculaires sous vide de ces dispositifs. Ces miroirs sont les deux objets au repos du référentiel en chute libre dont parlait Vincent précédemment. C’est un tel signal, similaire dans les deux détecteurs américains LIGO et correspondant au signal prédit pour la fusion de deux trous noirs qui a permis à l’ensemble de la collaboration LIGO-Virgo d’annoncer la découverte des ondes gravitationnelles.
Que représente cette découverte pour vous ? On entend parler de révolution de l’astrophysique, qu’est-ce qui va changer ?
VL : Il existe très peu de manifestations détectables des effets de la relativité générale. La détection des ondes gravitationnelles va certainement permettre une meilleure compréhension de la gravitation relativiste et fournir des pistes aux théoriciens pour enrichir leurs modèles et leurs théories. Pour l’astronomie il s’agit réellement d’une nouvelle fenêtre d’observation car les ondes gravitationnelles transportent de l’énergie, donc de l’information, et il s’agit d’une information qu’on ne trouve ni dans le rayonnement électromagnétique ni dans les flux de neutrinos. Je ne saurais dire ce qui va changer mais je suis certain que l’étude des informations contenues dans les ondes gravitationnelles va radicalement modifier notre compréhension de la structure et de l’évolution des objets astrophysiques.
IM :
Il s’agit pour moi d’une aventure humaine folle et d’une prouesse technologique inouïe qui débouche sur une découverte saisissante. Il faut quand même imaginer que des hommes et des femmes se sont dit il y a une cinquantaine d’années qu’il était envisageable de détecter des variations de longueurs infinitésimales et qui ont construit pour cela un tas d’instruments de toute nature. L’amplitude de l’onde gravitationnelle GW150914 a quand même générée sur Terre une différence de longueur entre les deux bras des interféromètres de l’ordre de 10^-(19)m [1] ! Enfin, au-delà du Graal de la première détection dite directe des ondes gravitationnelles que constitue cette découverte, il s’agit aussi de la première preuve directe de l’existence de trous noirs et qui plus est d’une classe de masse inattendue de 30 masses solaires. Comme le disent les astrophysiciens, on assiste à l’ouverture d’une nouvelle fenêtre observationnelle sur le cosmos.
Quand avez-vous commencé à collaborer dans l’une des équipes de Virgo ?
VL : Mon premier contact avec Virgo date de 1990 ou durant mon année de DEA à l’observatoire de Meudon j’avais effectué un stage à l’institut Henri Poincaré, encadré par le professeur Philippe Tourrenc, qui traitait des mesures de la vitesse de la lumière. Entre 1992 et 1995 j’ai effectué ma thèse à l’ESPCI sous la direction du professeur Claude Boccara. J’ai conçu les différents instruments de métrologie optique qui ont été utilisés pour fabriquer le verre et réaliser les composants optiques qui équipent les différents détecteurs, ainsi qu’un modèle numérique de propagation de lasers dans des interféromètres complexes de type Virgo-LIGO. L’ESPCI est donc directement et activement impliquée dans la détection des ondes gravitationnelles depuis 24 ans !
IM : De mon côté, j’ai commencé à collaborer dès mon recrutement au CNRS et mon affectation au LPEM en 2008. Avec Vincent nous apportons une expertise optique et instrumentale au groupe Virgo du Laboratoire de l’Accélérateur Linéaire (LAL) à Orsay. Cette équipe est entre autre en charge de la mise au point de lasers auxiliaires pour l’acquisition du contrôle de l’interféromètre dans le cadre de la seconde génération de l’instrument dite Advanced Virgo prévue pour fin 2016. Nous utilisons pour cela la plateforme CALVA développée par le LAL et qui est une double cavité laser suspendue sous vide (5m et 50m) pour tester et valider les techniques d’acquisition du futur contrôle des cavités. Enfin, j’ai également participé aux premières acquisitions de données sur site à Virgo jusqu’en 2011, qui, communes et exploitées conjointement avec LIGO, ont permis non pas à l’époque de détecter un signal gravitationnel mais d’exclure certains modèles optimistes de prédiction d’événements.
Quels sont les prochains défis à relever pour Virgo et LIGO ?
VL : Cette première détection nous a montré que le choix de l’interférométrie optique était judicieux. Si nous voulons que ces détecteurs deviennent des observatoires astronomiques il va falloir améliorer encore leur sensibilité. A l’heure actuelle les détecteurs permettent d’observer une variation de la longueur de leurs bras de l’ordre de 10^-19 à 10^-20 mètre ! On imagine aisément que la tache va être délicate. Pour cela nous devrons mettre en œuvre des techniques nouvelles : déformation active des miroirs des interféromètres, utilisation d’états non classiques de la lumière, utilisation de plusieurs lasers, cryogénie, etc.
Dans les dix années à venir la sensibilité des détecteurs va certainement gagner un ordre de grandeur. Ce gain aura deux effets : améliorer le rapport signal sur bruit, mais plus important encore, augmenter le volume d’univers observable. L’amplitude des ondes gravitationnelles décroit proportionnellement à l’inverse de la distance à sa source, or les détecteurs interférométriques sont sensibles à l’amplitude de l’onde (et non pas à son carré comme en électromagnétisme). Augmenter la sensibilité d’un facteur 10 reviendra donc à pouvoir observer dix fois plus loin, donc à englober un volume d’univers mille fois plus important.
IM : A très court terme, le prochain défi de la collaboration est probablement le redémarrage de Virgo dans sa version « Advanced » fin 2016. La détection d’un signal d’onde gravitationnelle dès le lancement d’Advanced LIGO en septembre 2015 montre bien que le seuil de sensibilité des instruments pour avoir des détections est désormais atteint. De plus, l’ajout d’un troisième interféromètre au réseau des deux LIGO va permettre d’améliorer significativement la localisation des sources dans le ciel.
A moyen terme, il va s’agir de l’extension de ce réseau de détecteurs à l’échelle internationale. Actuellement, 1000 scientifiques issus de laboratoires aux Etats-Unis et de 14 autres pays contribuent à LIGO et 300 scientifiques européens pour Virgo. Le Japon finalise actuellement son détecteur KAGRA et l’Inde s’est portée candidate pour accueillir l’installation d’un troisième LIGO sur son sol.
Enfin, la détection d’un plus grand nombre d’évènements qui est désormais le nouvel enjeu de l’astronomie des ondes gravitationnelles passe nécessairement comme l’a signalé Vincent par l’amélioration des performances des instruments de mesure actuels. Une fois de plus, l’avancée des recherches fondamentales va passer par un gain instrumental.