Sur Terre comme sur Mars, les flancs des dunes de sables sont typiquement décorés de rides éoliennes, dont la régularité est particulièrement impressionnante. Mais au-delà de l’émerveillement esthétique, la formation de ces rides reste une énigme. Comment de tels motifs peuvent émerger avec un agencement aussi ordonné, alors que l’espacement des rides est bien plus grand que la taille des grains de sable ?
Rides éoliennes sur des dunes du Sahara Atlantique
©Bruno Andreotti
Le modèle "classique" proposé jusqu’à présent ne prend en compte que les sauts locaux des grains, au voisinage immédiat du lit de sable. Ces sauts sont induits par l’impact d’autres grains, emportés plus tôt en amont par le vent et retombant comme une "pluie" homogène et régulière, indépendante de la présence de rides.
Ce modèle prédit effectivement la formation de rides, mais espacées d’une distance de quelques grains seulement. Or, dans la réalité, les rides éoliennes sont espacées d’une distance 100 à 1000 fois supérieure : ce modèle n’est pas satisfaisant. Il faut inventer un nouveau modèle qui, pour expliquer la croissance et l’espacement des rides, doit introduire des paramètres liés à leur présence.
C’est dans cette optique que Philippe Claudin et Bruno Andreotti, du laboratoire de Physique et mécanique des milieux hétérogènes, et Orencio Duran, de l’université de Brême (Allemagne), ont développé un modèle numérique inédit de grains en interaction avec un fluide en écoulement.
Ce modèle décrit ainsi le mécanisme de formation des rides éoliennes : les grains de sable emportés par le vent délogent, lorsqu’ils atterrissent, des grains immobiles du lit de sable. Ceux-ci font alors de petits sauts, plutôt vers le haut, et s’accumulent pour former la crête des rides, comme le montre la vidéo ci-dessous.
Les grains emportés par le vent ne contribuent pas tous de manière égale à la croissance des rides : leur contribution dépend en fait de leur trajectoire. Les grains qui contribuent le plus à la croissance des rides sont ceux qui atterrissent après avoir parcouru une distance proche de l’espacement des rides déjà formées. En d’autres termes, ils atterrissent à peu près au même endroit que celui d’où ils sont partis, mais sur la ride suivante en aval du vent, et délogent à cet endroit-là d’autres grains qui vont s’accumuler vers le sommet de la ride aval. Ce mécanisme "de résonance", illustré par la figure ci-dessous, est l’élément central de ce nouveau modèle numérique : il prend en compte l’espacement des rides pour expliquer leur croissance.
Simulation numérique de la croissance de rides (figure 1 de la publication)
Lorsque les rides émergent à partir d’un lit de sable initialement plat, leur espacement est le résultat d’un compromis entre ce mécanisme de croissance et un mécanisme de transport des grains vers l’aval de la pente de chaque ride.
Ce nouveau modèle offre une description bien plus exacte de la croissance des rides éoliennes. Contrairement au modèle "classique", il prédit notamment que l’espacement (ou longueur d’onde) des rides, ainsi que la vitesse avec laquelle les rides "avancent" sous l’effet du vent (vitesse de propagation), augmentent linéairement avec la force du vent. Cette prédiction est en accord avec les observations expérimentales en soufflerie et sur le terrain, non seulement sur Terre mais aussi sur Mars, où l’espacement des rides est typiquement 20 fois plus grand, du fait des différences de paramètres fondamentaux : gravité, densité du flux en écoulement (vent).
Mais le modèle va encore plus loin : il prédit que le produit de la longueur d’onde et de la vitesse de propagation est proportionnel au flux de sable transporté par le vent.
La mesure de ce flux nécessite habituellement l’utilisation, sur le terrain, de pièges à sable ou bien de capteurs sensibles au mouvement des grains.
Piège circulaire pour mesurer le transport de sable
©Bruno Andreotti
Comme l’espacement et la vitesse de propagation des rides éoliennes peuvent être facilement mesurés à partir de photos suffisamment résolues, ce nouveau modèle permet d’estimer à distance, à partir de simples calculs, les transports de sable ayant lieu sur Terre, comme sur Mars.
Contact
Philippe Claudin
Chercheur CNRS
Physique et mécanique des milieux hétérogènes
01 40 79 45 50
philippe.claudin@espci.fr
Référence
Direct numerical simulations of aeolian sand ripples
Orencio Duran, Philippe Claudin and Bruno Andreotti
Proceedings of the National Academy of Science, 2014
doi : 10.1073/pnas.1413058111
Pour aller plus loin
– lire l’analyse de l’institut de physique du CNRS.
– le site du laboratoire de Physique et mécanique des milieux hétérogènes, UMR 7636 CNRS/ESPCI, également associé à l’université Paris-Diderot et à l’UPMC.
– la page décrivant les recherches de Philippe Claudin et Bruno Andreotti.
Couverture Media
– "Pourquoi les dunes et leurs rides ont l’air si parfaites ? Des chercheurs français ont réussi résoudre l’énigme" (Huffington Post, Zurbains)