Nicotine et adolescence : un déséquilibre cérébral qui prédispose à la dépendance

 
24/10/2024

Les mécanismes par lesquels la consommation de nicotine à l’adolescence augmente le risque de dépendance à l’âge adulte demeurent mystérieux. Dans une étude récente publiée dans Nature Communications, des chercheurs [1], révèlent que, chez la souris, l’exposition à la nicotine pendant cette période critique perturbe durablement les circuits dopaminergiques en développement, favorisant ainsi un état de vulnérabilité prolongé.


L’exposition à la nicotine à l’adolescence est depuis longtemps associée à un risque accru de dépendance à cette drogue à l’âge adulte. Toutefois, les mécanismes précis par lesquels la nicotine perturbe le développement du cerveau et favorise ce risque de dépendance sont encore mal compris. L’étude, publiée dans la revue Nature Communications, apporte un nouvel éclairage sur cette question.


Les souris adolescentes exposées à la nicotine présentent une vulnérabilité prolongée à la nicotine

Les chercheurs ont d’abord constaté que les souris adolescentes avaient une sensibilité accrue aux effets gratifiants de la nicotine, tant au niveau physiologique que comportemental. Les chercheurs ont ensuite montré que des souris exposées à la nicotine au début de leur adolescence manifestaient, une fois adultes, des comportements et des réponses physiologiques similaires à ceux observés chez les jeunes souris adolescentes. En d’autres termes, l’exposition à la nicotine durant l’adolescence semblait figer ces animaux dans un état de vulnérabilité prolongé, caractérisé par une sensibilité accrue aux effets gratifiants de la nicotine et une diminution de leurs réponses aux effets anxiogènes de la substance.


Ce phénomène est lié à une perturbation des circuits impliqués dans la gestion de la récompense

Les chercheurs ont établi que ce phénomène était lié à une perturbation des circuits synthétisant la dopamine, un neurotransmetteur clé dans la gestion des récompenses. Plus précisément, la nicotine affecte différemment deux groupes de neurones dopaminergiques en fonction de leurs projections : les neurones projetant vers le noyau accumbens, une région centrale du cerveau impliquée dans le renforcement et la motivation, étaient particulièrement touchés chez les souris adolescentes, mais également chez les adultes qui avaient consommé de la nicotine pendant l’adolescence. À l’inverse, les neurones projetant vers l’amygdale, une région jouant un rôle dans la gestion des émotions et de la peur, ne présentaient pas de perturbations comparables.

Ces résultats suggèrent que l’exposition à la nicotine pendant cette période de développement critique déséquilibre durablement les circuits dopaminergiques, maintenant ainsi les individus dans un état cérébral immature, et les rendant plus susceptibles de développer une dépendance à l’âge adulte. En rétablissant l’équilibre de cette activité neuronale dopaminergique, les chercheurs ont pu rétablir un comportement normal chez les souris adultes qui avaient été exposées à la nicotine durant leur adolescence, démontrant ainsi que des interventions ciblées visant à restaurer l’activité du circuit de la récompense peuvent réduire une vulnérabilité acquise à la drogue.

© Lauren Reynolds

Les souris adolescentes montrent une sensibilité accrue aux effets gratifiants de la nicotine, tandis que les effets émotionnels négatifs sont moins prononcés. Les neurones dopaminergiques projetant vers le noyau accumbens, une région clé dans la régulation de la récompense et de la motivation, affichent une réponse amplifiée à la nicotine chez les adolescents par rapport aux adultes. En revanche, les neurones projetant vers l’amygdale (en bleu), impliqués dans la gestion des émotions et de la peur, ne subissent pas de modification notable. L’exposition à la nicotine à l’adolescence maintient ce déséquilibre neuronal chez les adultes, prolongeant ainsi l’état de vulnérabilité à la dépendance.




 

Référence

Transient nicotine exposure in early adolescent male mice freezes their dopamine circuits in an immature state
https://doi.org/10.1038/s41467-024-53327-w

Lauren M. Reynolds, Aylin Gulmez, Sophie L. Fayad, Renan Costa Campos, Daiana Rigoni, Claire Nguyen, Tinaïg Le Borgne, Thomas Topilko, Domitille Rajot, Clara Franco, Sebastian P. Fernandez, Fabio Marti, Nicolas Heck, Alexandre Mourot, Nicolas Renier, Jacques Barik, and Philippe Faure

 

Contact

Philippe Faure +33 1 40 79 51 67/ +33 6 77 73 35 52 | phfaure (arobase) gmail.com
Laboratoire Plasticité du Cerveau, ESPCI - CNRS UMR 8249

Notes

[1Des chercheurs du CNRS, de l’ESPCI Paris - PSL, de l’ICM, de l’Université Côte d’Azur et de Sorbonne Université

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